Comme vous le savez certainement tous maintenant, je suis enceinte pour un terme début septembre, mais ma grossesse ne va pas se terminer de manière heureuse.
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« C’est à la lecture du numéro 42 de la revue ASP, concernant les soins palliatifs en pédiatrie, que j’ai découvert votre association, et votre site.
Je suis très sensible à votre action de promotion de l’accompagnement des bébés, hors du parcours classiquement suggéré de l’IMG, en cas de pathologie létale découverte pendant la grossesse. Je pense en effet que ce choix de laisser faire la vie, quelle qu’en soit la durée, et bien que l’inéluctable soit au rendez-vous, est un chemin qui doit pouvoir être proposé en pleine conscience aux parents, sans que cela ne remette en cause le droit à la décision d’IMG pour ceux qui ne souhaitent pas emprunter ce chemin du palliatif.
J’anime un groupe de parole pour parents endeuillés par la perte de leur bébé, je préside une association d’aide au deuil périnatal, et j’essaye de participer à l’évolution des pratiques soignantes, via des interventions en milieu hospitalier, entre autre, pour que l’accompagnement des familles, mais aussi de ces bébés, prenne à chaque fois tout son sens. Je suis par ailleurs médecin, et je comprends bien le difficile aveu d’impuissance d’une équipe soignante devant une pathologie létale découverte in utero, et son souhait d’éviter autant que possible l’émergence de la souffrance, chez le bébé, comme chez ses parents. Mais je suis aussi une maman endeuillée, et si la cause du décès de mon enfant n’est pas une décision d’IMG, mais un problème obstétrical imprévisible, je sais par ma propre expérience, et également au travers des témoignages des couples que j’accompagne, que la perte d’un bébé est un abîme insondable pour qui ne l’a jamais expérimenté. Je pense donc que c’est une fausse prévention, une fausse protection que de penser éviter la souffrance aux parents en ne leur proposant que l’interruption de la grossesse comme une alternative acceptable au décès programmé de ce bébé…car, quelque soit le terme de la grossesse, la perte est bien là, et il n’est pas plus « facile » de faire son deuil parce que le bébé n’a pas vécu, et que la grossesse n’a pas été menée à son terme…D’autant que le temps écoulé entre l’annonce de l’indicible, et la décision d’IMG, n’est pas un temps de l’au revoir et de la constitution des seuls souvenirs qui aideront justement ce deuil à se faire, c’est un temps de « l’urgence médicale », de la technique, de la maladie…et il est donc nécessaire de pouvoir faire ensuite cheminer les parents vers une réappropriation de l’humanité de ce bébé, alors même qu’il n’est déjà plus avec eux, en eux…
Vient alors le temps des regrets, celui de n’avoir pas su profiter des derniers moments, trop entachés de la violence de l’annonce du pronostic et des décisions à prendre, celui de n’avoir pas pu encore aimer cet enfant pour ce qu’il était « avant » (le diagnostic), celui de n’avoir pas pris le temps de se dire au revoir, de se préparer ensemble à la séparation, celui de n’avoir pas compris que cet enfant, voué à mourir, pouvait encore jouir de cette vie in utero, puisque la vie « terrestre » ne lui était pas destinée…
Je comprends, et je respecte sincèrement le « choix » d’amour (je mets volontairement choix entre guillemets, car peut-on décemment parler de choix, quand la vie a déjà pris sa décision?) que font les parents qui ont recours à l’IMG…car ce qui leur est énoncé, c’est la possibilité de ne pas faire souffrir inutilement l’enfant qui, de toute façon est destiné à mourir…et, par volonté compatissante, de ne pas se faire souffrir d’avantage eux-mêmes, en interrompant ici une grossesse qui, de toute façon, ne leur apportera pas un bébé en bonne santé…alors à quoi bon souffrir, continuer à investir, et risquer de pleurer encore davantage un bébé qu’on aura eu plus de temps pour connaitre…
Sauf que ce raisonnement, de l’extérieur, n’est évidemment pas un témoignage de ce qui se vit vraiment dans l’intimité de la relation de la mère à son bébé, et du père à cet enfant en devenir, si court soit ce devenir…car, quand on est « au clair » de la destinée de cet enfant, une fois passée la sidération de l’annonce, on peut cheminer avec ce bébé, en pleine conscience du peu de temps qui nous est offert pour vivre ensemble, et prendre le temps, son temps, de la découverte, de l’amour, pour que, au-delà de la mort attendue (et non plus programmée), on puisse ensemble s’engager sur le chemin de la séparation, sans avoir la terrible impression, après, que tout est allé si vite qu’on a pas pu dire tout l’amour qu’on avait à partager…
Il faudra du temps, du courage, de la conviction, pour que les parents qui s’engagent sur le chemin d’un accompagnement de la fin de vie de leur bébé soient entendus, acceptés, entourés, et accompagnés eux-mêmes; du temps pour que les soignants cessent de « penser » pour autrui ce qui pourrait faire moins mal, et acceptent eux aussi d’accueillir dans toute son humanité la réalité de ces bébés qui naissent pour mourir; du temps pour que ces bébés ne soient pas si vite proposés à l’euthanasie in utero, mais respectés suffisamment pour qu’on leur laisse vraiment vivre leur temps…
Très cordialement »
Valentine Picker-Gilet
Association l’étoile de mère
Nous avons appris au cours du 6ème mois de grossesse que notre petite Sixtine était atteinte d’une grave cardiopathie incurable.
Elle devait décéder très vite après sa naissance mais nous n’avions pas plus de précision.
C’était terrible d’apprendre cette nouvelle !
Tout s’est écroulé autour de moi…. Et ça, en une fraction de seconde….
Beaucoup de sentiments sont alors apparus : le chagrin, la colère, la souffrance, l’incompréhension,…
J’avais l’impression de ne plus être maitre de mes projets, de cette vie un peu idyllique que je m’étais imaginée avec mon mari et mes enfants. J’étais complètement abattue.
Nous ne voulions pas d’acharnement thérapeutique pour notre enfant, ou d’opérations « rocambolesques », nous avions alors décidé de faire un accompagnement de fin de vie.
Sixtine est née le 27 novembre 2009 à l’hôpital Necker.
Lors de sa naissance le diagnostic a été confirmé avec l’annonce d’une espérance de vie de 48H. Son papa l’a veillé… et moi je dormais avec mon portable.
48H après sa naissance Sixtine était toujours parmi nous et son état était finalement un peu moins catastrophique que ce qu’avaient dit les médecins.
Le cardiologue nous a donc longuement parlé et nous a demandé de ne pas faire trop vite le deuil de notre enfant…
En effet son petit cœur qui ne battait pas in-‐utéro (la partie gauche de son cœur ne pouvait pas remplir ses fonctions à cause de la fibrose) s’était petit à petit mis à battre…
Ce que fournissait ce petit cœur était tout simplement suffisant pour le petit organisme de Sixtine.
Alors que son état aurait dû se dégrader, celui-ci était en train de « s’améliorer » !
Quel choc !
Mon mari était tellement heureux, pour lui c’était un miracle, notre petite fille allait finalement vivre.
Pour moi c’était différent.
Dans un premier temps, je ne réalisais pas trop parce que je crois que j’avais vraiment commencé à faire mon deuil…
Je m’étais « préparée » à ce que notre petite fille meurt donc il ne pouvait pas en être autrement. J’étais partagée, angoissée, perturbée et pleine d’incertitudes. Toute chamboulée !
Je ne voulais pas me réjouir trop vite, la peur que tout rebascule à nouveau….
Et puis, au bout d’une semaine nous l’avons ramené à la maison.
C’était incroyable ! J’avais l’impression de rêver. J’étais heureuse… même si je n’étais pas complètement sereine et que j’avais peur qu’il arrive quelque chose à la maison car ma petite fille restait fragile…
Mais c’était merveilleux d’être tous les 5 réunis, nous n’avions jamais pu imaginer qu’un jour Sixtine soit réellement chez nous. Nos 2 grandes étaient aux anges, c’était magique de les voir toutes les trois réunies ailleurs qu’à l’hôpital.
Je pouvais enfin lui acheter des petits vêtements ! Et commencer à imaginer le futur avec mes 3 filles…
Nous avons pu passer les fêtes avec elle.
Jamais pendant la grossesse je n’avais imaginé cela.
Ces 2 mois passés avec Sixtine ont été remplis d’Amour, de Bonheur et de Joie.
Nous avons fait plus ample connaissance avec notre petite fille. Elle nous a offert ses premiers sourires, ses premiers babillements.
Nous étions tous les 5 comme dans un cocon, dans une bulle, une grande bulle d’Amour !
Une bulle qui reste malgré tout fragile et qui peut céder à tout moment….
Mais cet Amour que nous nous sommes donnés mutuellement reste inébranlable et indélébile.
Sixtine allait avoir 2 mois lorsque son état s’est dégradé.
Elle a donc été hospitalisée d’urgence en cardiologie.
Le lendemain de notre arrivée le cardiologue m’a dit : « on est entrain de la perdre… »
Il a pris le temps de parler avec moi, de m’expliquer ce qui se passait.
Ce que je redoutais au fond de moi était entrain d’arriver…
J’ai compris que ce que nous avions décidé au moment de sa naissance, de l’accompagner vers une fin de vie la plus douce possible allait arriver. Je pleurais tout le temps, J’étais très stressée, angoissée, fatiguée.
Bouleversée par tous ces revirements de situations.
C’était très dur de la voir dans cet état de fatigue générale, de voir qu’elle ne réagissait plus au son de ma voix. Elle qui me faisait de beaux sourires 2 jours auparavant !
Durant ces 5 jours en cardio, nous avons été formidablement bien entourés. Les médecins prenaient le temps de nous parler, d’apaiser nos angoisses et je pense que Sixtine a attendu que nous soyons vraiment bien, calmes et les plus sereins possible pour partir tranquillement dans les bras de son papa…
Ces 2 mois de « Bonus » que nous a offert Sixtine ont été extraordinaires !
Tous ces souvenirs, tous ces sourires, tous ces moments de tendresse, de bonheur et d’amour restent inoubliables.
Sa courte vie nous a tellement apporté… nous nous sentons tellement différents…
Sixtine reste bien présente dans nos cœurs et dans notre vie de famille.
Même si parfois le chagrin reprend le dessus, aujourd’hui je peux dire que je suis heureuse d’avoir vécu ces beaux moments de vie et d’amour avec ma fille. »
Marine
Des soins palliatifs en anténatal ? L’accompagnement de l’annonce du diagnostic est fondamental pour préserver la liberté de choix de la femme enceinte dont le foetus est atteint d’une malformation d’une particulière gravité.
«L’échographie est souvent un moment très attendu par la femme enceinte, comme synonyme de joie, de partage et de fierté. L’éventualité que son bébé puisse être atteint d’une anomalie grave ne lui traverse généralement pas
l’esprit ou plutôt est laissée pour une hypothèse lointaine. Je me souviens avoir entendu dire par une femme après l’annonce d’une malformation «qu’avoir un foetus malade c’est pour les autres, mais impossible pour mon bébé». La découverte d’une anomalie d’une
particulière gravité à l’échographie fait en un instant basculer sa vie. Face à cet «effroyable coup de tonnerre dans un ciel serein», la future maman se trouve complètement démunie, en détresse profonde. Il est souhaitable à la fin de l’échographie de décrire, comme il est d’usage, les différents organes que l’on voit à l’écran et de montrer le profil du bébé. La découverte d’une anomalie à l’échographie ne doit en aucune manière se transformer en une description se limitant finalement à la seule anomalie. Pour ce foetus déjà gravement dégradé aux yeux de sa mère par la visualisation d’une ou plusieurs malformations, la description de la morphologie du foetus ne doit pas se limiter à sa seule malformation.
La discussion qui va avoir lieu au décours de la découverte de la malformation a le lourd pouvoir d’orienter le choix de cette femme pour la suite à donner à sa grossesse. Dès les premières explications sur l’anomalie et sa gravité, Il est fréquent que la patiente soit tentée, non pas par souhait (qui le souhaiterait?), mais par détresse de demander une interruption médicale de grossesse. Il est très important alors que l’échographiste puisse ne pas donner suite à cette première demande, sans pour autant se mettre en opposition. Une demande à ce stade ne peut avoir été réfléchie avec le recul nécessaire et correspond plutôt à une demande d’aide et de soutien de la patiente. Répondre tout de suite favorablement à cette demande d’interruption de la grossesse pourrait potentiellement priver la patiente et son conjoint/compagnon d’un temps indispensable de réflexion face à ce drame familial. Le «tout est possible» apparaît une réponse plus appropriée qui devrait permettre au couple, non pas d’être rassuré, mais plutôt de laisser libre cours à la réflexion et au choix de la «moins mauvaise solution» pour eux. Suite à l’annonce de l’anomalie de son bébé, la patiente a sur le moment beaucoup de mal à enregistrer les explications qui lui sont données. Il est souhaitable d’afficher une posture d’écoute, après l’avoir informée des constatations concernant l’anomalie. On se rappellera que le non verbal tient une place essentielle dans cette conversation : de ce fait, la posture, les mimiques, le timbre de la voix, la forme des mots que l’on adopte durant cette consultation d’annonce vont traduire la considération que l’on a ou non vis-à-vis de ce foetus déjà touché par la présence de la maladie. La patiente gardera à l’esprit la partie non verbale de cette consultation qui marquera sa vie. Enfin, ne perdons pas à l’esprit la tentation que va avoir la patiente de consulter Internet : comme dans toute situation d’angoisse, souvent les mots ou les diagnostics les plus péjoratifs seront retenus par la patiente suite à sa navigation sur le Net. On peut alors facilement prévenir la patiente en fin de consultation des dangers d’Internet quitte à lui conseiller plutôt certains sites bienveillants.
Il paraît approprié de proposer une nouvelle consultation dans les jours qui suivent cette première annonce pour faire un point, savoir ce qu’elle a retenu, les explications qu’elle n’aurait pas comprises et les nouvelles questions qui sont très certainement apparues après ces quelques jours de recul. Durant cette consultation, en considérant la situation où l’établissement du diagnostic et du pronostic de l’anomalie ne nécessite pas de contrôle échographique, il sera discuté ensemble de la suite à donner à cette grossesse. Si le couple a pu prendre un peu de temps pour réfléchir et peser les avantages et inconvénients des différentes alternatives, la possibilité du choix des soins palliatifs devrait être facilitée. Face à ce choix du couple, l’obstétricien et/ou l’échographiste proposeront alors une nouvelle consultation avec l’équipe médicale au complet (obstétricien, psychologue, pédiatre, sage-femme…) pour confirmer ce choix et établir un projet de naissance et d’accompagnement.»
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C’est en septembre 2009 que la vie nous a fait cadeau d’une magnifique aventure et sans aucun doute de la plus belle histoire d’amour, de partage et de respect qu’il nous aura été donné de vivre en famille…
Étrange sans doute de débuter de cette manière un témoignage sur l’accompagnement d’un enfant qui va mourir… et pourtant…
Notre vie ressemblait jusqu’alors à celle d’un peu tout le monde : en couple depuis 2000, mariés en 2002, 2 adorables loulous nés en 2002 et 2004, nous coulions des jours heureux…notre vie nous comblait et l’idée d’un petit troisième faisait son chemin…Quelques mois de tentatives en 2007…mais je ne me sentais pas prête, envie d’investir d’autres projets dans mon travail, de profiter encore des deux « grands »…Bruno m’a laissé le temps…Février 2009, les envies de pouponner sont revenues en force…et le 17 juillet, j’annonçais gaiement au papa, l’arrivée prochaine du numéro 3!!
Quelques soucis de kystes ovariens ont nécessité une échographie précoce et le 13 août, veille de notre départ en vacances, nous découvrons deux petits bébés nichés dans mon ventre !!
Papa émerveillé et Maman paniquée, nous avons fini par nous faire à cette nouvelle en délirant sur les kilos de couches et des journées de 72heures !!
Notre rendez-vous pour l’écho du premier trimestre sonnera l’entrée dans une aventure inimaginable, souvent douloureuse mais tellement pleine d’amour et de tendresse…L’échographiste détecte une méga vessie et des membres inférieurs soudés chez l’un des bébés…nous ne comprenons pas trop… « Sirénomélie »…jamais entendu parlé…Une rencontre avec ma gynécologue et quelques recherches sur internet plus tard, nous découvrons la réalité de cette malformation : 1 cas sur 100 000, 3 enfants vivants dans le monde après d’innombrables opérations et toujours en sursis…notre monde vient de s’écrouler et nous avec.
La veille de mes 34 ans, nous avons RDV dans un centre de diagnostic anténatal : le diagnostic est confirmé…nous attendons de vrais jumeaux et l’un deux à une malformation létale…
Deux « solutions » possibles…
Une interruption sélective de grossesse à 18 SA qui consiste à coaguler le cordon du bébé atteint pour arrêter son cœur avec 20 % de risque de perdre les deux bébés et l’impensable perspective de poursuivre la grossesse avec un bébé bien vivant et son jumeau mort à ses côtés…
Ou poursuivre la grossesse puisque le bébé ne souffre pas in utéro et les risques de décès in utéro sont très faibles mais avec le risque de syndrome transfuseur-transfusé présent dans 20% des grossesses monochoriales…
Nous sommes assommés…on ne comprend pas comment la vie peut basculer aussi vite…et puis faire un choix…ce n’est pas un choix qu’on nous propose, c’est un déchirement! L’obstétricien nous propose aussitôt une rencontre avec la pédopsychiatre du service et nous demande de prendre notre temps…de le rappeler au besoin…Nous ressortons du RDV avec la psy toujours perdus mais avec une adresse internet qui ne nous parle pas…SPAMA…soins palliatifs…maternité…des mots qui me paraissaient tellement étrangers l’un à l’autre !!
On découvre alors à travers les témoignages les histoires de ces parents, de ces familles qui ont poursuivi des grossesses alors même que le bébé à venir ne vivrait pas…Inimaginable !!
Comment ces mères et ces pères trouvaient-ils la force d’accompagner leur enfant vers sa mort? Comment vivaient-ils avec cette grossesse dont l’issue était la mort du bébé que l’on porte? Tout cela nous semblait irréel, ces gens étaient surhumains…nous n’aurions jamais cette force… Et puis il y avait les deux « grands » ? Comment leur expliquer que l’un des deux bébés présents dans mon ventre ne vivra pas ? Comment les accompagner, les protéger ? J’ai relu souvent ces témoignages qui disaient la tristesse mais surtout le bonheur d’avoir porté ces bébés, la sérénité de leur naissance…Et puis j’attendais des jumeaux…comment arrêter moi-même la vie de l’un deux alors qu’il ne souffre pas? Comment laisser l’un deux vivre tous ces mois aux côtés de son jumeau décédé? Comment à la fois porter la vie et la mort?
Et puis sans que je ne comprenne vraiment comment, ni pourquoi…la réalité s’est imposée…limpide… je voulais porter mes deux bébés jusqu’au bout, les laisser grandir ensemble et partager ce lien si mystérieux, donner toutes ses chances au bébé bien portant et laisser son frère vivre la vie qu’il aurait à vivre puisque nous savions qu’il ne souffrait pas in utéro et qu’un accompagnement en soins palliatifs était possible à la naissance pour le laisser s’en aller sans souffrance…
Mon mari et moi avions décidé de cheminer chacun de notre côté dans un premier temps, puis de nous décider ensemble…Sans rien se dire, Bruno a néanmoins senti mon cœur basculer du côté de la vie et de la poursuite de cette grossesse…Nous n’étions sûr de rien, juste que nous pouvions tout surmonter ensemble…Puis vint l’annonce de notre décision à la famille, aux amis proches puis à nos aînés…Certains ont accepté notre choix sans nous juger, et sont restés présents durant ces longs mois, toujours à nos côtés…Pour d’autres notre choix était impensable…car penser la mort d’un enfant avec même qu’il ne soit né est impensable, l’accompagner sur ce chemin semble parfois irraisonné… nous allions être traumatisés et traumatisé nos autres enfants… interrompre sa vie était sensé nous épargner de la souffrance…
Nous avons alors commencé notre nouveau chemin : pour nous dans l’intimité, avec nos quatre enfants…il y a eu des moments de tristesse mais aussi et surtout beaucoup de moments de tendresse et de complicité partagée autour de ce ventre qui abritait nos deux fils, de fous rires des deux grands quand les « petits » ont commencé à gigoter…Jamais je n’aurais imaginé passer de si doux moments durant cette grossesse, être si fière de mon gros ventre et de mes deux loulous bien au chaud à partager je ne sais quelle partie de gymnastique…
Au dehors, ce fût parfois un véritable combat…un travail de longue haleine pour faire comprendre à notre entourage le sens de notre décision : celle d’accompagner nos deux enfants, même si l’un d’entre eux était déjà condamné…comme nous l’aurions fait pour n’importe lequel de ses frères s’il venait à être malade…Mais donner sa place à un tout-petit avant sa naissance n’est pas simple…nous avons chaque jour et envers et contre tout revendiqué une place pour Baptiste…notre fils, même s’il ne devait vivre que quelques heures, il faisait partie intégrante de notre vie, de notre histoire. Et puis la spécificité de cette grossesse gémellaire résidait bien dans le fait qu’ils étaient deux, à jamais liés dans leur histoire, dans leurs gènes. Nier l’existence de Baptiste, c’était nier l’histoire et l’identité de Quentin : certes il grandirait sans la présence physique de son jumeau, mais au plus profond de lui, restera toujours l’empreinte de cette vie in utéro partagée, des battements du cœur de l’autre, du contact de son corps…En se battant pour donner une place à Baptiste, nous nous battions aussi pour que Quentin puisse prendre la sienne…
L’un et l’Autre, l’Un sans l’Autre…
La naissance des loulous restera sans aucun doute l’expérience la plus intense de toute notre vie : une naissance baignée d’abord par la joie de voir naître et d’entendre crier nos deux fils à la vie… puis ces quelques heures de pure grâce que nous avons vécu avec Bruno autour de notre fils qu’il nous fallait maintenant accompagner le plus tendrement possible vers sa nouvelle vie de petit ange…Nous avons eu cette grande chance : celle de rencontrer notre enfant vivant, de croiser son regard, sentir son petit corps tout chaud de vie, de tenir sa main dans la nôtre, le câliner, le bercer, le rassurer et puis finalement lui chuchoter les mots qui lui laissaient le droit de partir sereinement vers une vie sans souffrance.
Notre combat pour Baptiste a continué jusqu’à son « enciellement » un 25 février 2010… Devant son petit cercueil, une photo de lui rappelait à tous ceux qui ne l’avait pas encore compris, que nous disions adieu à notre enfant, et non à une malformation ou à un traumatisme…Et puis, Bruno avec tout l’amour d’un père, a lu la voix pleine d’émotions, le long mot d’au revoir que nous avions écrit à Baptiste et où nous avons tenté de transmettre l’intimité de notre histoire avec Baptiste, son frère Quentin et nos deux aînés :
« A notre fils Baptiste,
Quelques petits mots, rien que pour toi,
Pour te dire toutes ces choses, Que l’on a pas eu le temps de te murmurer,
Parce que ton destin aura été celui d’une petite étoile filante,
Juste passée dans nos vies, pour y laisser une immense trace d’ amour.
Te dire que malgré tout, malgré les diagnostics sans appel…
Le bonheur indicible, d’avoir trouvé au fond de nous,
Autant d’amour et de force, pour te porter au creux de nous,
T’y laisser grandir avec tes frères, partager ces doux moments de ta présence,
Et tenir ta main au creux de la notre jusqu’à ton dernier souffle…
On ne s’est jamais menti,
Nous savions qu’au jour de ta naissance sonnerait aussi pour toi le jour de ton départ.
Alors nous avons condensé tout notre amour dans ces quelques mois jusqu’à notre rencontre…
Nous avons redécouvert qu’être parents,c’est seulement accompagner le mieux possible son enfant sur le chemin qui est le sien…
Et t’accompagner ces quelques mois a pris autant de sens pour nous que le temps que nous aurons à cheminer auprès chacun de tes frères.
Tu vois, nous aurons plus que jamais appris à retrouver l’essentiel…
Ta petite vie avec ses battements si fragiles nous a redonné la saveur de chaque petite chose :
Celle d’un Noël partagé tous les six,
Celle des liens mystérieux noués avec Quentin dans le secret de mon ventre,
Des chansons entonnés par tes frères tout près de mon nombril,
Des mains de ton père dans lesquelles tu venais de blottir…
Tu es si petit…et pourtant tu nous a fait grandir…
Nous t’avons accompagné du mieux que l’on a pu sur ce chemin bien chahuté,
avec ce désir de te laisser prendre ta place toute particulière dans notre famille :
celle de fils, celle de frère, et celle que chacun a pu te faire dans un coin de son cœur.
Sans doute avons-nous parfois été maladroits…
Sans doute notre choix de te garder le temps de ta courte vie a pu sembler illusoire ou trop douloureux à certains…
Bien sûr que nous avons eu peur aussi d’embarquer Raphaël et Nathan sur ce bateau incertain,
de ne pas être sûr de savoir les accompagner et les protéger au mieux
dans ces rivages inconnus que la vie nous fait traverser…
Bien sûr qu’il nous faudra aider Quentin à faire à présent sa route sans toi…
Bien sûr qu’il y aura le chagrin et les larmes de ton absence…
Et pourtant…En ce jour où il nous faut nous séparer,
aucun autre nuage que celui de la tristesse de te dire au revoir, ne vient troubler notre ciel…
Aucun doute, aucune peur, aucune douleur n’ effacera nos souvenirs de bonheur à tes côtés :
Celui d’entendre ton premier cri, de croiser ton regard,
te serrer contre nous et de tenir ta petite main dans la nôtre jusqu’au bout de ta vie…
Il y aurait encore tant de choses à te dire Baptiste…
Des mots d’amour que nous garderons au fond de nous, en souvenir de toi…
Des souvenirs tendres que nous ferons revivre dans les moments de chagrin…
Et ton prénom que nous continuerons à prononcer sans tristesse, sans malaise,
Et la place que tu garderas toujours pour nous
au milieu des rires et des chamailleries de tes trois frères…
Et puis enfin te faire cette promesse à toi,
mais aussi et surtout à Raphaël, Nathan, et à Quentin :
Vous promettre qu’au-delà de ton absence, au delà du chagrin et de nos larmes,
Que l’Amour que l’on vous porte à tous les quatre
saura toujours nous faire apprécier chaque instant de cette vie
Celle qui continue, autrement, différente, juste teintée d’un peu de Toi…
Et en guise de derniers mots d’au revoir,
sache que les soirs de nuits claires,
Toutes les petites étoiles à la lueur de la lune,
Viendront tisser ce fil d’amour qui nous relie à toi
Notre doux petit Prince, pour l’éternité… »
C’est ce moment de grâce qui a permis aujourd’hui que notre combat s’arrête…non que nous ayons renoncé…mais Baptiste a désormais toute sa place à lui dans notre famille, dans notre entourage…Aujourd’hui, le chagrin est toujours présent, le manque de notre tout-petit aussi… Mais j’aimerai aussi vous dire la sérénité, la douceur et la fierté qui nous habitent : celle d’avoir aimer sans compter notre enfant le temps de sa courte vie et de l’aimer encore et toujours aujourd’hui, différemment. Il est présent dans notre vie, à la place qui est la sienne : celle de fils, de frère, de petit-fils, neveu, cousin…sa petite bouille est dans son joli cadre de naissance à côté de celle de ses trois frères, ses photos défilent en fond d’écran sur notre ordinateur au milieu de ses frères, du carnaval, des fêtes d’anniversaire…Quand Quentin reçoit un cadeau de naissance, il y a très souvent une carte, un dessin, un poème pour Baptiste… Notre aîné dort avec un doudou de son frère, le cadet lui a élu domicile sur l’étoile du berger et nous lui envoyons des bisous chaque fois que le ciel est clair…
Petit Baptiste a trouvé sa place et Quentin a pu prendre la sienne…avec une petite étoile qui brillera toujours à ses côtés, celle de son frère jumeau…Quant à nous, parents, nous vivons chaque jour avec nos quatre enfants et un amour immense qui se partage désormais entre ciel et terre.
Partager ce poème écrit pour Baptiste, c’est laisser une trace de cette magnifique histoire d’amour et de tolérance que nous avons vécu en famille, et peut-être de rendre un peu de ce que nous avons partagé ici : une autre manière de penser la vie et apprendre plus que jamais à aimer son enfant, sans rien attendre d’autre de lui, qu’il puisse vivre sa vie, quelle qu’elle soit… »
Virginie, Bruno, Raphaël, Nathan, Quentin & Baptiste…