« Bonjour,

Je m’appelle Françoise et j’ai bientôt 36 ans. J’ai accouché le 29 août dernier d’une magnifique petite fille rose et joufflue, prénommée Adèle, mon deuxième enfant. Elle a vécu 9 jours.

Nous savions depuis le 5ème mois de grossesse (22SA) qu’elle ne pourrait pas vivre longtemps car elle avait une malformation cardiaque incompatible avec la vie et incurable (hypoplasie cardiaque).

Le cardiologue nous a assuré que notre bébé ne souffrait pas in utéro. Après la naissance, ce type de malformation met quelques heures, voire quelques jours avant de causer une insuffisance cardiaque fatale. En attendant, tant que le canal artériel ne se ferme pas naturellement, le bébé est tout à fait en bonne santé.

Ca a été absolument terrible d’apprendre cela, d’une violence extrême, j’ai eu mal au plus profond de mon être pendant des jours. Et j’ai mis du temps à réaliser, à accepter…

Les médecins ont commencé à nous parler d’interruption médicale de grossesse.

Je suis allée sur des forums où j’ai lu des témoignages de mamans ayant subi une IMG, beaucoup disaient leur profond regret de ne pas avoir pu croiser le regard de leur bébé, de ne pas avoir pu le serrer vivant dans leur bras.

Je suis tombée sur une rubrique parlant des soins palliatifs sur le site de Petite Emilie et j’ai réalisé que j’avais peut-être une alternative à l’IMG, ce que nous a confirmé le cardiologue : nous pouvions aller à terme, vivre la naissance et la courte vie de notre fille, puis l’accompagner avec des soins palliatifs quand l’insuffisance cardiaque se manifesterait.

Sachant cela, et bien que l’espérance de vie de mon bébé n’était peut-être que de quelques heures, je n’arrivais pas à renoncer à l’idée de rencontrer mon bébé. Croiser son regard pour lui murmurer « c’est maman », le tenir tout vibrant de vie contre mes lèvres, ne serait-ce que pour quelques minutes…

Je sentais que je ne pourrais pas vivre avec ce regret là, c’était impossible pour moi, je ne m’en relèverais jamais.

Cependant, décider d’aller jusqu’au bout de la grossesse n’a pas été immédiat car je ne m’en sentais pas la force au début. Il restait encore 4 mois que j’imaginais pavés de souffrance pour moi et mon mari. Comment porter un enfant et continuer à s’attacher à lui alors qu’on sait qu’il va mourir ?

Dans un premier temps, j’ai cherché pendant plusieurs semaines une solution pour écourter la grossesse tout en mettant au monde mon bébé vivant, une sorte d’accouchement prématuré programmé. Mais aucun hôpital ne voulait accepter ce choix, je me suis débattue longtemps et contre tous avec cette idée fixe.

Pendant ce temps, les semaines passaient et mon bébé continuait à pousser dans mon ventre et dans mon cœur, je me laissais envahir par un amour sans limite pour lui. Je me suis aperçue que finalement cette grossesse n’était pas un chemin de souffrance, mais un chemin de vie, de bonheur au jour le jour, je me disais « jusque-là tout va bien ».

J’ai réalisé que je n’avais aucun pouvoir sur la mort, mais que sur la vie j’en avais un : pouvoir en profiter jusqu’au bout, tant qu’elle était là. C’était tellement bon de sentir mon bébé bouger dans mon ventre, je ne voyais plus de raison de hâter la mort, de toute façon j’aurai toute une vie à vivre après sans mon bébé.

Alors au début du 7ème mois ma décision était prise, nous irions jusqu’au bout.

Une fois cette décision posée, je me suis sentie beaucoup plus calme, sereine. J’ai réinvesti ma grossesse avec une intensité merveilleuse, en profitant de chaque moment. J’ai donc vécu une fin de grossesse très particulière, mais je l’ai vécue avec beaucoup de bonheur.

Il y a eu bien sûr des moments de grande tristesse dans cette attente, mais la joie dominait. Car tant que ce bébé était vivant au creux de moi, c’était un moment d’amour intense à partager avec lui.

Les dernières semaines de ma grossesse ont été empreintes d’impatience et d’angoisse mêlées, j’avais à la fois hâte de rencontrer enfin Adèle, et j’étais aussi terriblement stressée de cette naissance qui allait marquer le début du compte à rebours inéluctable.

J’ai pleuré en arrivant à la maternité car je savais que j’en ressortirais sans notre fille, mais ensuite je me suis vite recentrée sur la joie de la naissance imminente.

Cependant au bout de 24 heures de contractions, je n’étais qu’à 2 cm. Je me suis rendue compte que c’était peut-être moi qui bloquait, qui ne voulait pas lâcher prise, qui ne voulait pas laisser Adèle commencer sa trop courte vie, commencer son chemin vers la mort. Alors je me suis fâchée contre moi-même, et j’ai aussi fermement parlé à ma fille : « Adèle, on t’attend. Maintenant on a envie de tevoir, viens. »

Tout s’est accéléré alors, j’ai eu l’impression que mon corps était pris d’assaut par les contractions. Tout juste le temps d’installer la péridurale et Adèle est arrivée peu de temps après, elle poussait toute seule, la sage-femme n’avait pas encore installé la table d’accouchement, Adèle avait pris son destin en main, elle arrivait…

Eblouissement, éclatement de joie, bouffée d’indicible bonheur que ce petit corps tout chaud, tout humide, vibrant de vie contre moi, posé sur mon cœur ! La vie pouvait s’arrêter là maintenant, je n’avais vécu cette attente que pour cette seconde de pur bonheur : tenir mon enfant vivant contre mes lèvres. Je l’ai regardée dans les yeux et je lui ai murmuré doucement « c’est maman… ». Il n’y avait plus aucune tristesse pour assombrir ce merveilleux instant, nous nous rencontrions enfin, nous nous reconnaissions…

A partir de ce moment-là, chaque minute, chaque heure, chaque jour supplémentaire a été un bonus, un cadeau précieux, inestimable, que notre petite Adèle nous faisait.

Après tout ce que nous avions lu sur sa malfo cardiaque, nous avions escompté 24 à 48 heures de bonne santé avant que l’insuffisance cardiaque ne se déclare (lorsque le canal artériel se fermerait naturellement). Nous savions qu’il y avait la possibilité que cela dure plus longtemps, mais nous n’avions pas osé espérer. Je n’avais d’ailleurs acheté que 3 pijamas.

Le premier jour a été tout à la joie, j’étais persuadée qu’il ne pouvait rien arriver dans les premières 24 heures. Adèle va très bien, elle est rose et joufflue, elle mange bien. Elle fait 2kg845 et mesure 48,5 cm. Elle est jolie comme un cœur, elle ressemble à Quentin, elle a le front et le nez de maman, la bouche et les orteils de papa.

Nous accueillons avec émotion Quentin qui vient voir sa petite sœur, nous sommes tous les quatre. Quel bonheur de serrer tous nos enfants contre nous, de faire cette belle photo de famille. Mon mari a pu rester avec nous, il avait un lit dans ma chambre pendant tout le séjour. Toute notre famille défile pour souhaiter la bienvenue à Adèle. C’était difficile de donner de notre précieux temps, et en même temps nous tenions tellement à ce qu’ils puissent ouvrir leur cœur à notre fille.

Le deuxième et le troisième matins ont été difficiles, car je me disais à chaque fois que c’était peut-être le dernier. Emotion intense du premier bain, j’écarte doucement la puéricultrice pour lui faire comprendre que je ne veux laisser à personne d’autre ce moment. Nous passons des heures à regarder, bercer, embrasser notre petite Adèle.

Et puis au fil des jours, nous réalisons que rester à la maternité alors que notre bébé va bien n’a aucun sens, car c’est comme attendre qu’il meure puisque nous sommes enfermés hors du monde. Nous voulons rester du côté de la vie, intensément, en évitant de penser à demain, pour ne pas gâcher ces instants de vie, de joie.

Le 3ème jour nous faisons une balade dans les jardins de l’hôpital. Le 4ème matin, Adèle va toujours très bien, nous demandons à sortir. A 14h, nous rentrons chez nous.

Quelle joie, quelle bouffée de vie nous envahit ! Je réalise que pour mon mari, tout bascule à ce moment-là, son cœur chavire complètement. A la maternité, il était à pas feutrés, se sentant intrus en quelque sorte dans ce monde de femmes. A la maison, il est soudain libéré, je l’entends qui gazouille dans la salle de bain avec sa fille, il lui donne des petits noms, il veut prendre sa part dans tous les soins du quotidien.

Nous passons ainsi 4 jours et demi chez nous comme dans un cocon avec notre petite Adèle, à essayer de lui donner l’amour et les câlins de toute une vie. Nous reprenons doucement confiance dans la vie au fil des jours qui s’ajoutent. Nous faisons une grande fête de famille le dimanche midi, le champagne coule, les larmes aussi, nous sommes tellement heureux de pouvoir vivre ces moments-là au grand complet. Nous organisons aussi un goûter avec nos amis.

Encore une fois, partager ce temps précieux est à la fois un sacrifice et une grande joie, nous savons que nous bâtissons notre avenir en faisant preuve de générosité et d’ouverture à ce moment-là. Parce qu’ainsi nous aurons des souvenirs d’Adèle à partager, à pleurer.

Ce ne sont plus les matins qui m’angoissent, mais les nuits. Nous dormons très peu, à la fois parce que nous avons peur pour notre fille, et parce que nous ne voulons pas en perdre une minute. Je ne sais pas comment nous tenons le coup, mais je n’ai qu’une seule chose en tête : nous aurons bien le temps de dormir, après…

Nous avons attendu quelques jours après notre retour à la maison avant d’y faire revenir définitivement notre aîné car nous avions peur de ne pas être suffisamment disponible pour lui. Quand nous sentons que le moment est venu, c’est une explosion de bonheur ! J’ai vu le regard émerveillé et fier de Quentin lorsqu’il a découvert sa petite sœur à la maison, il lui a montré sa chambre, ses jouets. Nous avons fêté les « une semaine » d’Adèle avec gâteau, bougie et champagne. Ils ont bu ensemble leur biberon dans le grand lit entre papa et maman, j’adore cette photos de nous 4 en pyjama, les yeux encore gonflés de sommeil.

Nous étions profondément émus de ces moments d’intimité tous simples en famille, nous savions qu’il n’y en aurait pas d’autre, et quel prix ils auraient à nos yeux à l’avenir…

Le 9ème jour, Adèle venait de passer une nuit calme mais n’avait pratiquement pas bu depuis 24 heures, elle semblait fatiguée et sa respiration était rapide. Nous ne voulions pas attendre qu’elle commence à souffrir, le service de néonatologie avait un lit prêt pour elle depuis le départ.

C’est le cœur chaviré que j’ai pris ma fille dans mes bras pour l’amener à l’hôpital. Nous avions certes vécu plus de jours qui nous n’aurions imaginés, mais n’est-il pas toujours trop tôt ? Je ne me souviens pas avoir ressenti de colère ni de violence malgré le déchirement, nous acceptions, nous étions préparés, nous étions simplement tellement tristes…

Nous avons été installés tous les 3 dans une chambre où nous sommes restés dormir mon mari et moi. Nous étions ainsi en totale fusion pour accompagner notre fille jusqu’au bout, nous étions tout à elle. Nous passons ainsi les 24 dernières heures d’Adèle à la câliner, à lui chanter des chansons, à lui expliquer ce qui va arriver, à lui dire tout notre amour, tous nos regrets.

Quentin a pu revenir pour voir une dernière fois sa petite sœur, nous avons pu lui expliquer qu’elle est très malade et qu’elle va mourir. Les grands-parents aussi ont pu venir lui dire au revoir.

A la tombée de la nuit, le médecin a augmenté progressivement les antalgiques, et nous sommes certains qu’elle ne souffrait pas physiquement. Néanmoins cette dernière nuit a été difficile, car Adèle a eu quelques moments d’angoisse où elle semblait paniquée. Les premières fois, je n’arrivais pas à la calmer, elle semblait refuser mes bras et ne plus me reconnaître. C’était déchirant …

Il m’a fallu du temps et beaucoup de larmes avant de comprendre que ma fille ne me rejetait pas, mais qu’elle avait peut-être peur de ce qu’elle sentait arriver. J’ai fini par trouver les gestes qui la rassuraient, il lui fallait une infinie douceur et des repères qu’elle connaissait : effleurer son front du bout des doigts, la bercer très lentement la main sur son ventre, lui faire entendre la petite berceuse de son lapin en peluche.

Je crois qu’ainsi elle se sentait en sécurité, comme dans mon ventre finalement, et elle s’apaisait. Moi aussi.

Au matin de son 10ème jour, le 7 septembre, elle a fait un arrêt cardiaque. Elle s’est éteinte dans nos bras, en quelques instants.

Nous sommes restés encore de longues heures avec elle, moments d’une infinie tendresse. Je l’ai lavée une dernière fois, je l’ai habillée avec son petit pyjama rose, nous l’avons longuement embrassée. Et nous sommes rentrés chez nous, sans elle, le cœur lourd mais en paix.

Elle est restée 3 jours au funérarium où je suis allée la voir tous les jours. J’ai continué à l’embrasser et à la prendre dans mes bras, j’étais tellement heureuse de pouvoir encore la voir.

Le jour de l’enterrement, j’ai tenu à la prendre dans mes bras pour un dernier câlin avant de la déposer moi-même dans son cercueil, avec les 2 doudous que je lui avais offerts, un petite rose que j’avais cueillie le matin dans notre jardin, une photo de nous quatre. Mes sœurs avaient brodé pour elle un ruban.

Cela fait maintenant 1 mois que nous avons enterré notre fille. Commencer notre vie sans elle est très dur, et de plus en plus dur.

J’ai été si forte pendant ces longs mois de grossesse, je me suis tellement battue pour pouvoir rencontrer ma fille, j’ai vécu tellement de bonheur pendant les 9 jours qu’Adèle nous a offerts…

J’ai continué à tenir, à faire face, à avancer. J’allais bien, j’arrivais jusque là à vivre sur le passé qui continuait à me porter. Ou plutôt m’anesthésiait. J’étais capable de raconter toute l’histoire sans une larme.

Depuis 1 semaine, je tombe, je tombe…

Mon petit bébé est mort, et je ne m’en étais pas vraiment rendu compte…

Autour de moi les amis me demandent si ça va mieux, ils espèrent que je commence à remonter la pente. Alors que je commence tout juste à la descendre, je commence à peine… Quelle pression tout à coup, quel vide affreux, quel sentiment de solitude…

C’est terriblement dur, et en même temps ça fait tellement de bien de pleurer. Enfin…

Je sentais que j’avais besoin de pleurer mais je n’y arrivais pas. Et je ne comprenais pas pourquoi je n’y arrivais pas.

J’ai réalisé que je ne parlais jamais de mon bébé, je racontais juste l’histoire de ma grossesse et le déroulement des évènements. Inconsciemment je devais sentir que ce sujet-là était trop sensible, je l’avais complètement occulté malgré moi.

J’ai mis le doigt dessus et depuis j’ai le cœur et les tripes en vrac, j’ai si mal, mon petit bébé est mort et je ne le serrerai plus jamais dans mes bras…

Je comprends pourquoi on se sent si seule dans ce deuil où les souvenirs sont toujours trop minces pour être partagés. Même le papa a parfois du mal à me comprendre.

Je comprends pourquoi nous avons tant besoin les unes des autres pour pouvoir continuer à faire vivre nos anges. Ca va déjà mieux depuis que je pleure vraiment, aujourd’hui je me sens moins mal, mais je réalise doucement qu’il va falloir vivre toute une vie avec cette blessure au fond du cœur. ça va être si long…

Je sais en tout cas que je n’ai aucun regret car nous avons tout vécu, tout donné, en accord avec notre cœur.

Sur la douleur de l’absence, je peux mettre aujourd’hui tout cet amour donné, tous ces câlins, tous ces baisers.

Chaque fois que les larmes reviennent, je pense à la douceur de sa petite tête contre ma joue, à son léger poids contre mon épaule, je regarde les photos, le film, et cela finit toujours par m’apaiser même si c’est terriblement dur. »

 

Françoise