« C’est à la lecture du numéro 42 de la revue ASP, concernant les soins palliatifs en pédiatrie, que j’ai découvert votre association, et votre site.
Je suis très sensible à votre action de promotion de l’accompagnement des bébés, hors du parcours classiquement suggéré de l’IMG, en cas de pathologie létale découverte pendant la grossesse. Je pense en effet que ce choix de laisser faire la vie, quelle qu’en soit la durée, et bien que l’inéluctable soit au rendez-vous, est un chemin qui doit pouvoir être proposé en pleine conscience aux parents, sans que cela ne remette en cause le droit à la décision d’IMG pour ceux qui ne souhaitent pas emprunter ce chemin du palliatif.
J’anime un groupe de parole pour parents endeuillés par la perte de leur bébé, je préside une association d’aide au deuil périnatal, et j’essaye de participer à l’évolution des pratiques soignantes, via des interventions en milieu hospitalier, entre autre, pour que l’accompagnement des familles, mais aussi de ces bébés, prenne à chaque fois tout son sens. Je suis par ailleurs médecin, et je comprends bien le difficile aveu d’impuissance d’une équipe soignante devant une pathologie létale découverte in utero, et son souhait d’éviter autant que possible l’émergence de la souffrance, chez le bébé, comme chez ses parents. Mais je suis aussi une maman endeuillée, et si la cause du décès de mon enfant n’est pas une décision d’IMG, mais un problème obstétrical imprévisible, je sais par ma propre expérience, et également au travers des témoignages des couples que j’accompagne, que la perte d’un bébé est un abîme insondable pour qui ne l’a jamais expérimenté. Je pense donc que c’est une fausse prévention, une fausse protection que de penser éviter la souffrance aux parents en ne leur proposant que l’interruption de la grossesse comme une alternative acceptable au décès programmé de ce bébé…car, quelque soit le terme de la grossesse, la perte est bien là, et il n’est pas plus « facile » de faire son deuil parce que le bébé n’a pas vécu, et que la grossesse n’a pas été menée à son terme…D’autant que le temps écoulé entre l’annonce de l’indicible, et la décision d’IMG, n’est pas un temps de l’au revoir et de la constitution des seuls souvenirs qui aideront justement ce deuil à se faire, c’est un temps de « l’urgence médicale », de la technique, de la maladie…et il est donc nécessaire de pouvoir faire ensuite cheminer les parents vers une réappropriation de l’humanité de ce bébé, alors même qu’il n’est déjà plus avec eux, en eux…
Vient alors le temps des regrets, celui de n’avoir pas su profiter des derniers moments, trop entachés de la violence de l’annonce du pronostic et des décisions à prendre, celui de n’avoir pas pu encore aimer cet enfant pour ce qu’il était « avant » (le diagnostic), celui de n’avoir pas pris le temps de se dire au revoir, de se préparer ensemble à la séparation, celui de n’avoir pas compris que cet enfant, voué à mourir, pouvait encore jouir de cette vie in utero, puisque la vie « terrestre » ne lui était pas destinée…
Je comprends, et je respecte sincèrement le « choix » d’amour (je mets volontairement choix entre guillemets, car peut-on décemment parler de choix, quand la vie a déjà pris sa décision?) que font les parents qui ont recours à l’IMG…car ce qui leur est énoncé, c’est la possibilité de ne pas faire souffrir inutilement l’enfant qui, de toute façon est destiné à mourir…et, par volonté compatissante, de ne pas se faire souffrir d’avantage eux-mêmes, en interrompant ici une grossesse qui, de toute façon, ne leur apportera pas un bébé en bonne santé…alors à quoi bon souffrir, continuer à investir, et risquer de pleurer encore davantage un bébé qu’on aura eu plus de temps pour connaitre…
Sauf que ce raisonnement, de l’extérieur, n’est évidemment pas un témoignage de ce qui se vit vraiment dans l’intimité de la relation de la mère à son bébé, et du père à cet enfant en devenir, si court soit ce devenir…car, quand on est « au clair » de la destinée de cet enfant, une fois passée la sidération de l’annonce, on peut cheminer avec ce bébé, en pleine conscience du peu de temps qui nous est offert pour vivre ensemble, et prendre le temps, son temps, de la découverte, de l’amour, pour que, au-delà de la mort attendue (et non plus programmée), on puisse ensemble s’engager sur le chemin de la séparation, sans avoir la terrible impression, après, que tout est allé si vite qu’on a pas pu dire tout l’amour qu’on avait à partager…
Il faudra du temps, du courage, de la conviction, pour que les parents qui s’engagent sur le chemin d’un accompagnement de la fin de vie de leur bébé soient entendus, acceptés, entourés, et accompagnés eux-mêmes; du temps pour que les soignants cessent de « penser » pour autrui ce qui pourrait faire moins mal, et acceptent eux aussi d’accueillir dans toute son humanité la réalité de ces bébés qui naissent pour mourir; du temps pour que ces bébés ne soient pas si vite proposés à l’euthanasie in utero, mais respectés suffisamment pour qu’on leur laisse vraiment vivre leur temps…
Très cordialement »
Valentine Picker-Gilet
Association l’étoile de mère